Aujourd’hui nous avons le plaisir de vous présenter une interview des céramologues du projet : Alexandre Rodrigues, Arthur Gautier et Nicolas Tauzia, de l’Université de Pau et des Pays de l’Adour.
Arthur et Nicolas ont participé aux prospections de Cuesta Urria (ils ont effectué l’étude du mobilier céramique de ce site) et de Fronteira; Alexandre, quant à lui, a participé uniquement aux prospections de Fronteira. Actuellement, tous les trois apportent aussi leur aide pour étudier une partie de la céramique de la villa que nous avons prospectée à Olite.

Étant donné qu’une description de leur spécialité nous paraît très intéressante, nous leur avons donc posé quelques questions afin qu’ils nous présentent leur méthode de travail.
Tout d’abord, pourriez-vous vous présenter très brièvement?
Arthur: Je suis Arthur Gaultier, étudiant en 2e année de Master à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour. Mon sujet de recherche consiste à constituer et à étudier le corpus céramique protohistorique et antique de Salies-de-Béarn (Nouvelle-Aquitaine, France) afin de caractériser les logiques d’occupation, le statut des occupants et la pérennité des sites, le but étant d’aboutir à un SIG et à une une spatialisation des données.
Nicolas: Je suis Nicolas Tauzia, 21 ans, étudiant en deuxième année de Master à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour. Dans le cadre de mes recherches, j’étudie une collection de céramiques dont le but était de produire du sel durant l’Antiquité à Salies-de-Béarn (France, 64).
Alexandre: Je m’appelle Alexandre Rodrigues, j’ai 23 ans et je suis actuellement étudiant en deuxième année de master en archéologie à l’UPPA. Pour mon mémoire, que je fais sous la direction de François Réchin, j’étudie le mobilier céramique de la villa gallo-romaine du Gleyzia d’Augreilh à Saint-Sever dans les Landes. Je me spécialise donc en céramologie et dans la période de l’antiquité romaine.
Vous êtes de très jeunes chercheurs, mais très motivés. Pourriez-vous nous dire en quoi consiste le métier de céramologue?
Arthur: Un céramologue se doit de pouvoir identifier la céramique en associant ses connaissances bibliographiques à l’étude concrète du mobilier céramique. Cette dernière consiste en l’analyse de la cuisson de la pâte (dureté de la pâte, couleur interne et externe), le dégraissant utilisé, ou non, dans la pâte, la technologie utilisée, les formes du mobilier ou encore les décors (gravés, moulés, modelés, peints etc.). Mais il doit aussi être capable de contextualiser ces informations et le mobilier afin de tenter de définir, entre autre, une aire de diffusion, une période chronologique, des échanges à plus ou moins grande échelle et le statut des habitants.
Nicolas: Comme Arthur disait, un céramologue doit savoir reconnaître et identifier différents types de céramiques, parfois avec de très petits tessons. Ensuite, il doit avoir une connaissance plus globale de la céramique pour pouvoir placer dans le temps et l’espace un ensemble de céramiques.
Alexandre: Oui, effectivement. Je souhaite ajouter aussi que la céramologie est une des nombreuses spécialités de l’archéologie, par exemple certains sont spécialisés dans le bâti, d’autres sur l’étude des ossements, des charbons de bois, etc. Dans le cas de la céramologie, cette spécialité consiste à étudier les productions céramiques de toutes époques retrouvées lors des fouilles archéologiques.

Et pourquoi c’est intéressant d’étudier la céramique en archéologie ? Quelles sont les informations que nous pouvons obtenir en étudiant la céramique?
Alexandre: L’étude des céramiques est intéressante à plus d’un titre puisque c’est un matériau qui se conserve bien et que l’on peut retrouver en très grande quantité selon les sites, essentiellement sous forme de tessons puisque les formes complètes se conservent plus rarement. C’est un bon témoin de la vie quotidienne passée. Un de ses principaux intérêts est d’être un élément privilégié pour pouvoir offrir des datations et une chronologie plus ou moins précise des sites archéologiques. En effet, les objets céramiques comme la vaisselle ont une durée de vie assez courte et leurs formes changent assez régulièrement (selon les modes, les goûts…), certains types sont donc datés avec précisions et cela permet d’établir des références.
Cette question de la datation est particulièrement importante pour mon sujet de mémoire car pendant longtemps la villa gallo-romaine que j’étudie était considérée comme une unique construction du IVe siècle. Fouillée durant les années 1970, cette villa possède du matériel qui n’avait pas été étudié dans le détail. Or dans mon lot se trouve une quantité non négligeable de céramiques plus anciennes, quelques éléments sont datables du début du Ier siècle, prouvant une occupation du site à ce moment. En analysant les pâtes utilisées pour confectionner les céramiques nous pouvons déterminer des aires culturelles et dans certains cas des provenances, si elles sont locales ou bien si elles proviennent d’atelier plus éloignés. Il est ainsi possible de déterminer jusqu’où les céramiques d’un atelier sont diffusées ce qui donne donc aussi des informations sur les aspects économiques et commerciaux. Mais il reste beaucoup de chose à en dire comme les évolutions techniques, les décors, les habitudes culturelles etc.

(San Blas, Olite)
Arthur: Comme Alexandre l’a dit précédemment, l’étude du mobilier céramique permet d’apporter des informations variées, en partant de la confection même de l’objet à des informations telles que des échanges commerciaux ou des influences extérieures. De plus, la caractéristique de la céramique est qu’elle est à la fois fragile et très résistante. Dans la majorité des cas, elle est fragmentée. Cependant, les tessons ne se désagrègent pas aussi facilement que du mobilier métallique ou organique. Associé à l’important besoin en mobilier céramique dans de nombreux domaines (vaisselle, cuisson, stockage, artisanat), la céramique devient le mobilier principal sur de nombreux sites et parfois une des seules sources d’informations disponibles.
Nicolas: La céramique est très intéressante d’un point de vue archéologique et son étude est capitale sur la majorité des sites, et je ne dis pas ça juste parce que je suis céramologue ! C’est grâce à cela que nous allons pouvoir dater un site et le replacer dans son contexte géographique. La céramique donne beaucoup d’informations chronologiques maisaussi sur les liens existants entre les différentes populations humaines. Mon mémoire étant sur un site artisanal utilisant de la céramique, je peux aussi vous affirmer qu’étudier la céramique permet aussi de comprendre les différentes activités pratiquées par l’Homme.

Et dernière question. Pourriez-vous nous expliquer comment se fait une étude céramique ? Quelles sont les étapes que vous suivez?
Nicolas: Avec ma faible expérience, je peux au moins vous dire comment je fais une étude céramique. La clé c’est l’organisation. Avec Leticia, nous avons lavés et inventoriés les céramiques juste après la récolte, mais ce n’est pas toujours le cas! Il est possible de récupérer des collections entière qui n’ont jamais été préparées. Alors il faut s’armer de patience pour laver, trier et classer les tessons afin de pouvoir les étudier. Ensuite, je commence l’identification. Je passe en revue tout les tessons un par un en essayant au mieux de les identifier. Après, en fonction des informations que j’ai obtenues en identifiant les tessons, je peux faire une synthèse de mes découvertes!

Arthur: L’étude du mobilier commence parfois par une phase de reconditionnement nécessaire à la bonne conduite de l’étude ultérieure. Certains lots de céramiques nécessitent d’être nettoyés au préalable car la terre empêche d’apprécier les couleurs, la composition et les potentiels décors de la céramique. Parfois, le reconditionnement va plus loin car les lots peuvent nécessiter d’être rangés dans des contenants plus adaptés. Pour mon sujet, j’ai dû travailler sur du mobilier en grande partie nettoyé mais rangé dans des contenants hétérogènes (type poches plastiques abîmées, trouées, boites en carton). De plus, ces lots étaient stockés dans des caisses en polystyrène endommagées et peu hygiéniques. Avec l’aide de Nicolas, j’ai donc dû placer le mobilier dans des poches adaptées et mettre le tout dans des caisses en plastique homologuées.

Après cette étape passée, ou par chance non requise selon la situation, l’étude commence par l’observation du tesson. La pâte et sa composition, l’épaisseur, les décors, les formes peuvent permettre d’identifier la céramique selon sa fonction (vaisselle, céramique de stockage, de transport), sa nature (céramique commune, de luxe) et parfois de proposer une datation. Datation dont la fourchette peut varier de quelques décennies à plusieurs siècles. Il est même possible de rattacher la céramique à des types déjà connus et identifiés. Cela nécessite aussi une recherche documentaire et bibliographique. Il s’avère que certains tessons peuvent être intéressants de part leur nature (bords, fonds, anses, becs etc.) et/ou leurs caractéristiques (composants, décors) et qu’il faille donc les dessiner.
À l’aide d’outils tel le conformateur, la forme du tesson est prise et ensuite dessinée sur une feuille calque (apposée sur du papier millimétré). Ce dessin, accompagné d’une échelle ainsi que des références du tesson fait ensuite l’objet d’un DAO (Dessin Assisté par Ordinateur) en respectant plusieurs règles strictes. Lorsque le diamètre (ouverture maximale et/ou minimale) est connu il est noté. Il est de temps à autres possible de recoller certains tessons, auquel cas le dessin se fait une fois la colle durcie. La quantification consiste à compter le corpus céramique (en essayant de catégoriser au maximum chaque tesson) afin d’avoir une image précise de la quantité et de la qualité du matériel. Le but est aussi de tenter de compter le nombre « d’individus » différents en s’appuyant sur les caractéristiques de la pâte, l’épaisseur des tessons, la technologie, les décors, les formes caractéristiques (bords, fonds, anses etc.) pour affiner les résultats.
Enfin, la contextualisation est une étape incontournable de l’étude du corpus d’une manière plus globale. Il faut pouvoir analyser les lots céramiques dans leur ensemble, comprendre la composition du corpus (céramique fine, modelée, de transport, stockage) et intégrer ce tout dans un ensemble plus vaste à l’échelle du territoire alentour, de la région voire des régions plus éloignées. Cela permet de démontrer des aires de diffusion, du commerce ou des échanges et influences, des périodes de confection de tel outel type, etc.

Alexandre: Pour faire une étude céramique, il faut suivre un certain nombre d’étapes. La première chose c’est de bien nettoyer le matériel pour qu’il soit exploitable si ce n’est pas déjà fait.
Ensuite tous les tessons doivent être triés par catégories de fabrication répondant à plusieurs critères comme la couleur due à la méthode de cuisson, la nature de la pâte, la technique de fabrication avant de pouvoir les compter. Ce comptage par catégorie prend en compte tous les tessons d’une part (parfois des milliers) et les individus que l’on peut clairement identifier d’autrepart. Une fois cette étape effectuée, il faut identifier les formes et les typologies des céramiques, si l’on met de côté les exemplaires complets ou presque, ce sont surtout les bords qui permettent ces identifications grâce à leur profil et à leur diamètre. Pour faciliter ce travail, il est nécessaire de recoller les tessons quand cela est possible.
Toutes ces données, comptages et identifications, sont présentées sous formes de tableaux et de planches car tous les profils différents de céramiques sont dessinés et mis au propre sur ordinateur pour pouvoir établir des planches de dessins. Ainsi les personnes n’ayant pas accès aux céramiques étudiées en ont un aperçu visuel. Les tableaux permettent d’avoir une bonne vue d’ensemble desdonnées chiffrées et d’établir des pourcentages pour avoir les proportions de telle forme ou de tellecatégorie de céramique par rapport au reste du lot.
Une fois toutes ces données bien présentées, il faut maintenant les exploiter pour tenter de répondre aux problématiques que l’on se pose, pour caractériser le lot céramique, établir ses particularités, le comparer avec ceux d’autres sites archéologiques par exemple.
Je vous remercie à tous les trois d’avoir pris le temps de nous expliquer votre métier.